Le site Web exige de récupérer les archives publiques et gratuites des départements pour les revendre aux internautes.
Condamnés à mort sous la Révolution, militaires décorés en 1914-1918 ou immigrés naturalisés au début du XXe
siècle : Genealogie.com
affirme avoir déjà recueilli 300 millions de données.
Des archives
accessibles gratuitement auprès des administrations concernées, mais pas toujours disponibles en ligne.
L'objectif du site ? Numériser et stocker ces documents, mais en faisant payer leur consultation :
l'abonnement va de 19,99 euros pour un mois à 54 euros pour six mois.
Le problème,
c'est que certaines administrations se font prier pour fournir leurs archives à un site commercial.
Comme les conseils généraux : depuis un an, Genealogie.com lorgne sur leurs registres d'état civil
et leurs cahiers de recensement du XIXe siècle et du début du XXe. Et il perd patience.
Genealogie.com met en garde les départements
Résultat : le 4 mai, la société
NotreFamille.com ,
propriétaire du site, a envoyé un courrier à l'ensemble des conseils généraux. Une mise en garde polie, mais ferme.
La société leur apprend que la Meurthe-et-Moselle
et le Rhône
ont été rappelés à l'ordre par la Commission d'accès aux documents administratifs
(Cada ) : ils refusent que le site exploite leurs archives, mais la loi leur donne tort.
Les conseils généraux ont compris le sous-entendu : après ces avis favorables de la Cada, tout nouveau refus pourra être attaqué devant le tribunal administratif. D'ailleurs, la société conclut son courrier comme si l'affaire était close.
Pour les départements n'ayant pas encore numérisé leurs archives, pas de problème : Genealogie.com le fera pour eux. Pour les autres, c'est encore plus simple. Il leur suffit d'indiquer s'ils préfèrent livrer leurs fichiers sur des disques durs ou via un serveur FTP . (Voir le document)
Pétition sur Internet , questions relayées par des députés auprès du ministre de la Culture : l'affaire fait du bruit chez les généalogistes amateurs, et provoque la colère des archivistes. L'un d'entre eux, qui préfère rester anonyme, explique :
« Nous avons déjà dépensé des sommes importantes pour numériser, et cette société espère récupérer ces données à moindre coût. Si cet acteur-là prend une place primordiale sur le marché, est-ce qu'il ne va pas se substituer à nous et décider de ce qu'il est nécessaire ou pas de numériser ? »
« Un Google généalogique »
« Nous ne voulons pas nous substituer au service public », assure le directeur général de Notrefamille.com, Emmanuel Condamine. Selon lui, Genealogie.com offre un service complémentaire :
« Nous sommes un moteur de recherche patronymique, une sorte de Google généalogique […]. Nous demandons juste à bénéficier, sans exclusivité, de l'application d'une loi qui existe depuis 32 ans. »
La loi sur la « réutilisation des archives publiques » date en effet de 1978. Elle est claire : si les données sont publiques et qu'elles ne concernent pas des personnes encore en vie, on ne peut pas s'opposer à leur « réutilisation ». Y compris à des fins commerciales. Selon la Cada , les départements n'ont pas vraiment le choix :
- Si les archives ont déjà été numérisées, Genealogie.com doit pouvoir exploiter les fichiers ;
- si les archives n'ont pas encore été numérisées, le site doit
pouvoir le faire.
Un partenariat entre l'Etat et les mormons
En 1960, l'Etat avait déjà confié la sauvegarde sur microfilms des registres de l'état civil au privé. Son partenaire ? La Société généalogique de Salt Lake City,
dépendant de l'église mormone . Cet accord surprenant, confirmé en 1987 , donnait satisfaction aux deux parties : pour l'Etat, une sauvegarde gratuite de l'état civil ; pour les mormons, la possibilité d'identifier les morts pour les bénir, comme le prévoit leur religion.
Genealogie.com propose lui aussi de sauvegarder gratuitement les archives des départements. Pourtant, aucun d'entre eux n'a encore signé de partenariat avec le site. Pas seulement par refus de confier des archives publiques à une société privée : c'est aussi une question d'argent. Si la loi empêche les départements de s'opposer à la « réutilisation » de leurs archives, elle les autorise à réclamer une redevance.
Genealogie.com se dit prêt à en verser une, mais seulement pour les fichiers déjà numérisés. Pas question, en revanche, de payer pour les archives qu'il numérisera lui-même. D'autant, souligne Emmanuel Condamine, que les départements pourront utiliser à leur guise les images réalisées par Genealogie.com. Et même les fournir à des sites concurrents.
Les conseils généraux hésitent : combien peuvent-ils réclamer à Genealogie.com ? Ils préfèrent attendre les résultats des calculs de l'Agence de la propriété immatérielle de l'Etat , qui travaille en ce moment sur la tarification des archives de l'Etat. « Ça n'engagera en rien les départements, mais ce seront des tarifs pivots », explique Jean-Christophe Moraud, directeur général de l'Assemblée des départements de France , l'association des présidents de conseils généraux.
Certains départements font déjà payer
L'affaire Genealogie.com pourrait en fait embarrasser quelques conseils généraux. Parmi les départements ayant déjà numérisé leurs archives, certains font en effet payer la consultation en ligne, alors qu'elle est gratuite dans les salles de lecture. « Afin de couvrir une partie des frais liés à ce service, une participation vous est demandée », explique le site des archives départementales de la Savoie. Les tarifs ?
Embarras, également, chez les généalogistes amateurs. Beaucoup redoutent une numérisation systématique des archives par Genealogie.com. Mais parmi les 150 associations membres de la Fédération française de généalogie , certaines collaborent avec le site et alimentent sa base de données. Le secrétaire adjoint de la Fédération, Jean-Yves Houard, se veut consensuel :
« Il faut qu'il y ait toujours un accès gratuit aux documents. Notre souci, c'est que les départements arrêtent d'investir et préfèrent attendre que Genealogie.com le fasse : ça représente un travail énorme, est-ce qu'ils vont aller jusqu'au bout ? »
Genealogie.com candidat au grand emprunt
Notrefamille.com affirme vouloir s'en donner les moyens, pour résister à des concurrents comme l'américain Ancestry . La maison mère de Genealogie.com emploie quarante personnes, et elle est déjà cotée en Bourse, sur le marché Alternext , réservé aux PME. Elle vient de boucler une augmentation de capital de 2,5 millions d'euros , et elle participe à l'appel à projets lancé dans le cadre du grand emprunt : l'Etat prévoit de consacrer 750 millions d'euros à la numérisation du patrimoine .
Genealogie.com sait aussi réduire ses coûts. Une fois les documents numérisés, leur transcription et leur indexation peuvent être confiées à des prestataires étrangers, dans des pays francophones, admet Emmanuel Condamine.
Selon lui, le site attire aujourd'hui 1,5 million de visiteurs uniques par mois -grâce à un référencement efficace et aux achats de mots-clés sur Google-, et compte « quelques dizaines de milliers d'abonnés. »