Une révolution se prépare à l'hôtel de Soubise, l'hôtel particulier situé en plein cœur du Marais à Paris où les Archives nationales sont conservées depuis deux cents ans. Début 2013, la vénérable institution créée pour conserver les documents produits par les différents ministères depuis la Révolution va entrer dans l'ère du numérique. Des millions de documents historiques seront alors accessibles au grand public sur Internet. Une mutation impensable lorsque l'on visite les salles magnifiques seulement parcourues par les « conservateurs » de la maison.
Les «grands dépôts» aux rayonnages de bois emplis de registres reliés, habillés de cursives en dentelles métalliques, la salle du trésor des chartes et son «armoire de fer» qui renferme les joyaux de l'histoire de France donnent plutôt le sentiment que rien n'a changé depuis deux siècles. Lorsqu'il ne s'agit pas d'archives reliées, chaque liasse de papiers, dûment répertoriée, est enserrée dans une feuille cartonnée retenue par une lanière puis mise dans une boîte cartonnée. Ces boîtes sont ensuite entreposées dans des bâtiments aveugles à l'abri des variations de température et de l'humidité pour traverser au mieux le temps.
Mais au fil des décennies, les kilomètres linéaires ont littéralement débordé des entrepôts. En 1969, un site de l'Otan basé à Fontainebleau a été reconverti et dévolu à la conservation d'archives postérieures à 1958. Mais avec 4 à 6 kilomètres linéaires par an de nouveaux documents à classer, les responsables des Archives nationales ont vu la catastrophe arriver. «Avec la saturation des sites de Paris et de Fontainebleau, les Archives ne pouvaient plus répondre à leur mission», rappelle Isabelle Neuschwander, sa directrice.
À force de tirer la sonnette d'alarme, les conservateurs et directeurs des Archives nationales ont fini par être entendus. Un plan inédit de modernisation a été décidé en 2004 : 244 millions d'euros ont été débloqués. Il servira à la construction d'un bâtiment dont la capacité de stockage sera de 320 km linéaires et dont la première pierre a été posée le 8 juin dernier à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Cette enveloppe prévoit aussi que 12 millions seront consacrés à la construction d'un système d'information. La société Logica a été retenue pour inventer ce système dont la vocation est d'offrir aux professionnels un seul outil de gestion des archives sur les sites de Paris, Fontainebleau et Pierrefitte, et de permettre l'accès du grand public à des millions de documents. L'inauguration du site de Pierrefitte, fin 2012-début 2013, doit coïncider avec l'ouverture d'un portail Internet baptisé «salle des inventaires virtuelle».
7 millions de documents numérisés
En attendant, les ateliers des Archives, rue de Turenne, sont en surchauffe. 180 kilomètres linéaires doivent être toilettés avant leur futur déménagement. Des employées d'entreprises sous-traitantes «reconditionnent» les vieux dossiers poussiéreux. Ce jour-là, une livraison provenant du ministère de l'Économie et datant des années 1950 porte sur les colonies. À l'aide d'un tuyau d'aspirateur suspendu, les employées gantées et habillées de blouse débarrassent les «moutons» de poussières et affinent le travail avec une lingette en microfibres. Dans une pièce contiguë, un technicien passe un à un les documents destinés à être microfilmés. Dans une autre salle, les pages sont numérisées. Grâce à ce chantier, 7 millions de documents numérisés seront consultables début 2013. «Nous donnons la priorité aux documents d'une grande fragilité, comme ceux écrits ou imprimés sur du papier pelure et notamment les documents datant de la dernière guerre dont les supports sont en très mauvais état, explique Isabelle Neuschwander. Nous privilégions aussi les documents très demandés par les généalogistes comme les dossiers de la Légion d'honneur.» Il n'est pas envisagé de numériser l'ensemble des fonds. D'autant qu'une fois ces copies effectuées, les feuilles retournent dans leurs boîtes et les boîtes retrouvent leurs étagères. Le «zéro papier» n'est pas pour demain.
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