Jean-Pierre Bréard corrige l'Histoire dans les archives à Argentan
Source : https://actu.fr/normandie/argentan_61006/jean-pierre-breard-corrige-lhistoire-dans-archives-argentan_26821406.html
L'ancien instituteur Jean-Pierre Bréard nourrit sa passion pour l'Histoire en fouillant les archives de l'Orne. Portrait d'un chercheur de trésors du pays d'Argentan.
Féru de généalogie, Jean-Pierre Bréard a collecté une myriade d’anecdotes sur l’histoire d’Argentan depuis une dizaine d’années. (©Archive Le Journal de l’Orne)
Par Christophe Jacquet
30/08/2019
Auteur d’un numéro récent de la Revue du Pays d’Argentan, Jean-Pierre Bréard est connu pour dénicher des faits surprenants dans d’anciens registres.
S’il n’est « pas un historien, à proprement parler » selon lui, il en a tout l’air.
L’ancien enseignant spécialisé est apprécié à Argentan d’un cercle de passionnés d’histoire locale, dont le regretté Michel Courteille, pour remonter des pépites, des anecdotes précieuses des archives départementales, à Alençon.
Il y a ses quartiers.
Je vais aux archives une fois par semaine depuis que je suis à la retraite. Cela fait 15 ou 16 ans. »
La généalogie comme porte d’entrée
Pour lui, c’est « devenu un jeu, un passe-temps ».
Si sa passion pour l’Histoire est « née à l’école primaire », elle a couvé avant d’éclore en 2003, lorsqu’il mène une recherche généalogique.
Il lui fallait lever un lièvre, un tabou familial, dénié par son père. Vers 1850, des aïeuls se sont mariés entre cousins germains.
Une pratique courante ou presque au XIXe siècle « pour préserver l’héritage » et conserver les terres.
Sur sa lancée, Jean-Pierre Bréard a remonté l’arbre généalogique jusqu’en 1600, échouant sur Julien Riblier, demeurant du côté de Flers.
Mais le berceau de sa lignée s’établit à Sainte-Honorine-la-Guillaume.
Un métier qui rend malade
Lui est né en 1947 à Durcet « dans une famille de petits paysans ».
Aîné de 12 enfants, il n’est pas contraint à reprendre la ferme. Au contraire. « Un instituteur a contribué à m’envoyer au lycée de Flers. »
De là, il gagne l’École normale d’Alençon, et devient lui-même instituteur, 2 ans au départ, à Vimoutiers.
Très vite, il prend une voie très peu empruntée « pour s’occuper des enfants en difficulté » :
Avec un ami, peu de temps après Mai-68, on demande une formation spécialisée. Il fallait être persévérant à l’époque. Mais De Gaulle, qui avait une fille trisomique, exige de son ministre de l’éducation de faire quelque chose. Sans ça, le développement de l’enfance inadaptée aurait été plus lent. »
En 1973, quand il arrive à Argentan, la ville compte « 4 ou 5 enseignants spécialisés ».
Jean-Pierre Bréard débute à l’IME, puis tient des classes Clis et Ulis à l’école Guy-de-Maupassant, « longtemps », et Jacques-Prévert.
Une tâche ardue, avec « à la fin » des enfants aux handicaps lourds.
Au bout d’un moment, ça vous atteint. Vous devenez malades, car vous croisez des enfants en situation de maltraitance grave. Mais vous ne pouvez pas faire de signalement directement. Et l’administration vous demande des preuves. »
Les légendes de la mer
Quel dérivatif trouver ? Des collègues ont recouru au soutien psychologique. Pas lui :
Moi, je vais naviguer. Une façon de se ressourcer du métier. »
En 15 ans, Jean-Pierre Bréard parcourt sur son « petit 7-mètres » plus de 4 000 miles. Pas loin d’un tour du monde à la voile.
Une distance couverte dans un plus petit périmètre entre Dunkerque, l’Irlande et Royan. « Mon terrain de jeu privilégié, c’est un triangle entre Saint-Malo, les côtes anglaises et Brest. Brest, c’est déjà le sud [rires]. »
Même en voguant, l’Histoire n’est jamais loin.
Sur la côte nord de la Bretagne, il a « navigué aux légendes », c’est-à-dire en s’imprégnant des fables locales.
Un bon moyen de « situer les faits et les particularités des lieux ».
Des particularités, Jean-Pierre Bréard en débusque beaucoup depuis qu’il défriche, patiemment, les registres notariés aux Archives.
J’y vois se dérouler la vie des gens. »
En particulier les crimes, « toutes les condamnations à mort, ou aux galères ».
Dans un registre, il découvre la trace d’un événement méconnu de l’histoire d’Argentan : le massacre de la révolte des paysans Vautier en 1581.
Près de 3 000 morts. Parmi eux, 21 membres de la paroisse de Nonant-le-Pin, dont il retrouve la liste.
« Ils devaient être protégés par la cavalerie des nobles, qui les ont lâchés. Ils ont été tués par les troupes du roi. »
Le contributeur récent de la Revue du Pays d’Argentan a, comme cela, beaucoup d’anecdotes, d’éléments signifiants à raconter et transmettre.
Il le fait d’abord via l’image. Aux Archives, il n’a cessé de prendre des photos d’actes notariés.
Sans tarder, il précise :
J’ai commencé à faire ces photos d’actes après avoir su les lire. Les photographier, c’est une chose ; encore faut-il les rendre exploitables, utilisables par d’autres. »
Depuis 2009, Jean-Pierre Bréard aurait ainsi compulsé et mis en ligne 1,2 M d’images.
Conservées sur des disques durs externes qui ne le quittent plus, ou publiés sur le site collaboratif geneanet.org – en quelque sorte, le Wikipédia de la généalogie.
Overdose de célébrations ?
Tout y passe : l’état civil de l’Orne, les registres de comptes de l’hôpital d’Argentan, les archives de l’hôpital diocésain – « pas classées avant la Révolution, un problème »…
Ce qui le marque le plus dans cette masse de documents, et l’étonne toujours autant, c’est « la modernité de certaines choses » :
Je me suis aperçu qu’en Histoire, on enseignait de belles histoires. C’est du roman, ce n’est pas très rigoureux. On nous a éduqués par exemple pour être très négatifs sur l’Ancien Régime. On a l’impression que le statut de la femme y était exécrable. Quand on rentre dans le détail, on apprend à voir des choses peu visibles. Comme le statut des femmes dans la coutume normande. Comme elles vivaient sous la tutelle de leur père, puis de leur mari, les gens pensent que leur dot va à l’époux. En Normandie, « bien de femme jamais ne périt ». La dot revient toujours aux femmes. Le mari doit la garantir au départ. »
À n’en pas douter, Jean-Pierre Bréard préfère cette fréquentation des registres aux pratiques contemporaines de l’Histoire, versées vers la Mémoire.
Que pense-t-il du 75e anniversaire du Débarquement et de la fin de la Bataille de Normandie ?
Il est « assez partagé » sur les commémorations d’aujourd’hui :
C’est nécessaire, mais je me demande s’il n’y a pas une overdose de célébrations, entre la guerre de 14-18 et le 75e anniversaire. C’est à manier avec prudence. Auprès de certaines populations, on peut générer l’effet inverse à celui qui est recherché. »
Trop d’histoires tuerait-elle l’Histoire ? Jean-Pierre Bréard a sa façon bien à lui de l’explorer.
Très utile et appréciée pour alimenter une « petite communauté » de chercheurs à Argentan.